Un pas aussi lourd que décidé résonnait à intervalle régulier dans les ruelles de la ville sur la baie. L’obscuritée ambiante, dont seuls les lampadaires grézillants servaient de refuge, était une angoisse de plus pour les moeurs sensibles qui avaient bien fait de rentrer avant que la situation ne dégénère, comme chaque soir. Des crimes, il y en avait à la pelle. Du simple cambriolage à l’assassinat le plus sordide… C’était le quotidien des habitants de la ville, pour qui l’insécurité était devenue une seconde peau. Et le remède, si tenté qu’il soit autre chose qu’un placebo, était ceux qui dédiaient leur vie à l’apaisement de ces rues.

Mais ce soir, le haut de la carte n’était pas aussi fourmillant que Dreadnought espérait. Aucune bande de racaille à remettre dans le droit chemin à coups de phalanges, pas de gros poissons à ferrer à la force de ses biceps. Juste une simple personne. Limite une ado pas foncièrement menaçante au première abord, mais les apparences étaient parfois trompeuses et aussi belle soit sa gueule d’ange, lorsqu’elle serait par terre et tordue par la douleur, il n’y aurait plus de doute quant à sa nature.

Elle ne forçait pas son allure. Elle n’avait pas vraiment besoin. Une voix à son oreille s’occupait de lui dire par où sa cible du soir était partie, et sitôt qu’elle pensait être en sécurité, à bonne distance de la machine écossaisse, ses pas résonnaient de nouveau, plus près encore qu’ils ne pouvaient l’être avant.

Cependant, lorsque sa proie s’engouffra à l’intérieur d’un immeuble, un souffle d’agacement la prit. Elle n’avait guère le temps ni l’envie de jouer à cache-cache dans un bâtiment désaffecté. Fouiller chaque pièce aurait été une perte de temps, d’autant que l’endroit était surement interdit d’accès à cause des risques d’effondrements. Les tremblements de terre étaient un peu trop courant en Californie, et un drame était si vite arrivé…

Mais lorsqu’on lui précisa que sa cible était sur le toit, il ne fallut pas plus d’une dizaine de seconde pour que l’héroïne ne le rejoigne, donnant un grand coup de pied dans la porte, ce qui termina d’achever les gonds de l’accès dans un grand bruit métallique sur le sol de béton. Elle était là… Celle qu’elle avait prit la main dans le sac. Peut-être qu’elle ne savait pas dans quoi elle s’embarquait, peut-être qu’elle n’était qu’un pion dans cette affaire, mais dans tous les cas, un mot apparaissait clairement dans l’esprit de Pratty.

Coupable.

Restait à savoir à quel degré, mais ça, ce n’était pas son affaire. Elle coffrait les criminels à sa façon, s’assurant qu’ils gardent un certain souvenir de leur arrestation. Elle ne se faisait pas d’amis ainsi, mais elle n’était pas là pour ça. Elle avait un travail, et elle comptait bien l’executer.

“Te voilà.” Déclara-t-elle en faisant craquer sa nuque et ses phalanges dans un bruit qui ne laissait présager rien de bon. Elle n’était guère du genre subtile, ça, elle l’admettait sans problème, mais au moins elle ne s’emmerdait pas avec d’innombrables tracas.

“J’te laisse une chance de te rendre sans faire plus d’histoire. Donc si tu veux pas passer les prochains mois à bouffer de la soupe à l’hosto, tu ferais mieux d’obtempérer bien sagement.”

Elle n’était pas non plus canons sortis. Peut-être devrait-elle, toutefois elle en imposait un peu, et parfois, des petites frappes comme sa proie se rendaient sans combattre. D’autres tentaient la confrontation, mais à ce jeu là, ils étaient perdants. L’inamovible poings de la justice était prêt à s’abattre, d’autant qu’elle pourrait peut-être même la briser à la seule force de ses bras, mais ce n’était pas le but.

Pas le premier en tout cas.

L’intimidation. Si certains héros considéraient qu’il s’agissait de la partie sombre de leur boulot, Dreadnought considérait qu’il s’agissait là de la partie la plus importante de son taf. Foutre dans le doute, dans la crainte, dans la peur tous les petits rebelles qui pensaient pouvoir éviter les emmerdes avec les autorités. Et peut-être que ça passerait, peut-être qu’ils auraient les bons contacts… Mais si un jour, un seul jour, ils tombaient nez à nez avec Dreadnought, ce ne serait pas leur annuaire qui viendrait protéger leurs dents des mandales de la force d’intervention qu’elle était.

Dépassant de quelques pas de l’entrebâillement, autoritairement posée devant la seule issue. Sa respiration, froide sous le son de la pluie et du tonnerre, avait remplacé ses pas. Mais il en aurait fallut quelques-uns de plus pour attraper à la gorge cette délinquante et la passer à tabac. Et peut-être aurait-elle dû commencer par là, par ce qu’elle savait faire de mieux, mais… Parfois, quelques mots servaient mieux. Une leçon qu’elle essayait de retenir et d’appliquer par moment, lorsqu’elle savait qu’elle avait l’avantage, ce qui enfonçait un peu plus le clou. D’autant qu’elle avait encore le droit aux mêmes questions… Qu’est-ce qu’elle voulait, la réponse n’était-elle pas évidente ? Elle n’était pas là pour un autographe et une photo dédicacée.

“Si tu voulais jouer l’innocente, t’aurais mieux fait de faire ça avant de te barrer en courant.”

Car aux yeux de l’héroïne, cela ne signifiait que de la peur. Peur de se faire appréhender pour une culpabilité à prouver. Lorsqu’une héroïne en costume avançait, la meilleure option était de ne pas offrir de résistance, surtout lorsqu’il s’agissait de Dreadnought.

Et elle se présenta. Kayo Akina… Selon ses dires, une paparazzi de la presse people. Le genre de moustique assez désagréable qui tournait comme des rapaces à la recherche du moindre petit scoop. Des nuisibles qui, indirectement, aidaient les criminels, mais de façon légale. Qui s’en foutait de savoir que tel héros en mangeait pas de poisson le vendredi ? A part instaurer un climat de tension et d’emmerdes.

Mais bien qu’elle ne fit pas de gestes brusques, lorsqu’une de ses mains commença à fouiller dans une de ses poches, Dreadnought déploya sans plus de geste la moitié de ses canons. Une forme de prudence peut-être, elle n’était pas à l’abri d’un pistolet ou d’un tazer ou d’elle ne savait quelle connerie, mais également une forme d’impatience. Elle était pas là pour subir un embobinage de premier ordre. Démêler le vrai du faux, c’était pas son boulot, c’était un extra. et forcément, elle continuait de faire l’innocente, comme si elle ne savait pas elle-même ce qu’elle avait foutu.

“Belle carte. Ce serait dommage si elle finissait dans une broyeuse.”

Elle n’irait pas contester l’authenticité de la carte de presse. Elle n’avait pas l’oeil pour trouver les contrefaçons à vrai dire, et probablement qu’il s’agissait là d’une authentique couverture. Certaines mimiques étaient particulièrement sincères pour être honnêtes…

“Ce qu’on t’accuses hum ? Tu sais… On a l’habitude des connards qui, grâce à leurs alters, s’incrustent dans les mauvaises baraques. C’est pas le plus passionnant à traiter, mais ça nous concerne. Cependant toi… T’es dans une autre catégorie… Y’a pas mal de trucs à ton sujet, mais j’vais résumer ça rapidement.”

Un petit rictus à la limite du sadisme se dessina sur son visage au même moment qu’un éclair illumina la moitié de son visage. Effet involontaire certes, mais qui rajoutait son petit effet. Peut-être devrait-elle bosser plus souvent dans la tempête…

“Terrorisme.”

Un mot seul certes, mais fort de sens, surtout en cette période de tension dans la ville californienne.

“Ça dégueule d’info autour de la bombe que t’as placé pour éliminer Luminova. T’aurais dû être plus prudente gamine.”

Elle fit craquer sa nuque une nouvelle fois. Certes, l’orage rendait son effet, mais l’humidité ambiante n’était pas très agréable, quand bien même sans danger pour son corps fourmillant d’implants. En tout cas, pas sur cette version là.

“Donc rends toi sans histoire, et ce s’ra une bonne ligne qui t’fera éviter la peine capitale. Autrement… J’te garantis rien, si c’n’est mon poing dans la gueule et que tes menottes seront bien serrées.”

Admettre qu’elle prenait en filature un héros était une chose. Certains le faisait tous les jours, et s’exposait à une bien vilaine correction s’ils se faisaient prendre. Le service de sécurité de certain n’était pas forcément toujours tendre, et avec le fait que certains devenaient des cibles à force d’être connu, les risques étaient parfois minimisés. Peut-être qu’à force de continuer, elle aurait apprit par la force des choses à se mêler de ses affaires et à laisser les forces héroïques faire leur boulot.

Balancer qu’elle avait effectivement fuit Dreadnought devant la concernée en était une autre. Ça, c’était déjà flirté avec le danger sur un autre niveau. Et parmi ceux qui tentaient ça, plus rares encore étaient ceux qui s’en sortaient sans avoir au minimum le nez pété. Mais au moins admettait-elle cela, et tant mieux pour elle, car l’écossaise avait tout simplement horreur qu’on cherche à l’embobiner. Peut-être une des raisons qui expliquait pourquoi elle avait la droite aussi facile…

Mais de balancer à une héroïne que son collègue, qui était dans le cas présent aussi son employeur, était en vérité un connard de la pire espèce, ça c’était quelque chose d’un tout autre niveau. Lorsque Kayo avait commencé à vouloir se justifier, à chercher des trucs dans sa sacoche, la patience de l’héroïne n’avait fait que baisser, et sans plus de gestes, la moitié restante de ses canons s’étaient également déployés, braqués en direction de la jeune femme et prêt à faire feu au moindre geste suspect. Les tirs n’étaient pas létaux certes, mais les bruits mécaniques de tout l’imposant armement étaient à minima dissuasifs, d’autant que si c’était pour sortir un appareil photo et montrer ses derniers clichés de Luminova en slip kangourou, elle s’en tapait l’oignon.

“Tes justifications, tu les feras au poste.”
“Dreadyyyyy…”

Une voix s’ajouta à la conversation. Une voix féminine, assez juvénile au timbre, qui avait visiblement prit la liberté de se mettre en haut parleur, au grand désarroi de l’écossaise qui mit dans un réflexe mit la main à son oreille, avant de se rendre compte de la futilité de son geste, ce qui la fit rouler des yeux l’air agacée.

“Qu’est-ce qui y’a ?! Tu déranges là !”
“Qu’est-ce qu’on a dit sur la présomption d’innocence ?”
“Hey ! J’fais de sacré efforts pour pas l’avoir déjà suspendu par le pied au-dessus du vide ! Donc me fais pas la morale !”
“Regarde ce qu’il y’a dans l’appareil photo ! Et branches-moi aussi, par la même occasion.”
“Putain…”

Elle pouvait pester autant qu’elle le souhaitait, mais malheureusement, le luxe n’y était pas. Cette voix était-elle le garde-fou de l’héroïne ? Sa conscience ? Les deux ? Dans tous les cas, elle était aujourd’hui l’ange gardien temporaire de la journaliste, qui allait pouvoir profiter de ses genous quelques minutes de plus.

“T’as du bol. Rien que pour ton délit de fuite, j’devrais déjà être en train de te l’faire regretter.”

Un sursis certes, mais qui lui faisait gagner du temps et un peu de crédit. Sans attendre, Pratty récupéra l’appareil avant de prendre la carte mémoire présente, et de se la brancher dans on dos, au niveau de son omoplate, à proximité des branchements qui alimentaient et controlaient son lourd équipement.

”Oh oh… C’est peut-être du lourd tout ça !”
”Calme ta joie.”
”Hey, Kayo c’est ça ? Tu pourrais dire où et quand tu as pris ces photos ? Histoire que je vérifie ce que tu as là.”

Certes, parler à une seconde voix qui émanait de la terrifiante Dreadnought était surement un peu bizarre, mais c’était peut-être là la seule porte de sortie qu’aurait la jeune femme. Autre que de se faire défenestrer du quatrième évidemment. Mais probablement devrait-elle répondre rapidement et sans bafouiller, car l’écossaise ruminait, et dieu seul savait combien de temps la laisse qu’on lui forçait là tiendrait.

Patience et retenue. Voilà deux mots qui ne caractérisaient aucunement l’héroïne venue d’écosse. Habituellement, elle laissait ses poings causer en son nom dans un vocabulaire aussi divers que les cris de douleur qu’elle pouvait provoquer. Et il y avait là tout un champ lexical. Cependant, aussi directe pouvait-elle être, elle était freinée, retenue par la seconde voix qui réussisait à gagner du temps pour la journaliste, qui avait le droit de donner quelques explications sur la situation. Un privilège rare, que beaucoup n’avaient pas eu.

Et quant à celles-ci… Elles laissèrent penser qu’il s’agissait d’un coup nettement plus gros, d’une histoire beaucoup plus complexe qu’une simple fan girl yandere et terroriste. Enfin, vrai que cela semblait être quand même un gros coup pour ses simples moyens, quand bien même elle avait osée défier l’autorité de Dreadnought en prenant ses jambes à son cou. Et ça, ce n’était pas oublié, toutefois, il y avait une autre priorité.

Pratty écoutait cela silencieusement. Ses bras, croisés, étaient le reflet que de sa posture autoritaire. Un dock abandonné, un endroit plutôt suspect, Luminova qui se retrouvait lié à un trafic d’être humains… C’était pas une petite accusation quand même, même elle pouvait le reconnaître.

“Ok, je vois… T’es plutôt bien renseignée pour le coup !”
”C’est en même suspect.”
”Mais en attendant ça s’tient. J’ai vérifié c’que je pouvais et son truc se tient. J’analyse ses photos, et elles sont pas retouchées.”

L’écossaise roula des yeux. Si son acolyte avançait que c’était crédible, et même plus que ça, alors il y avait de fortes chances que ça le soit. Elle n’aimait guère lorsque les histoires comme celles-ci se révélaient plus complexes que prévues. Cela était le doux rappel que de frapper aveuglément ne résolvait pas toutes les situations. Et que ce soit le cas ici la faisait chier.

“Il semble que j’vais avoir l’droit à une petite discussion avec Luminova… Mais avant ça…”

Elle retira la carte de son dos, avant de la réinsérer dans l’appareil. Sa comparse avait de toute façon déjà fait toutes les copies nécessaires pour monter un dossier. Toutefois, lorsqu’elle lui rendit son appareil, elle aggripa, d’un mouvement brusque, la gorge de la journaliste pour la soulever de terre, serrant suffisamment fort pour lui rendre difficile la respiration.

”La prochaine fois que tu tenteras de m’semer, j’t’enfoncerai son appareil tellement profondément qu’on pourra savoir c’était quoi ta dernière bouffe ! Compris ?!”

Au moins ne laissait-elle pas de place au doute, et après s’être assurée que le message était passée, elle la lacha, se retournant alors qu’elle faisait craquer sa nuque et ses phalanges.

”Donc profites que j’ai un autre connard à qui casser la gueule pour te faire discrète”

Cependant, alors qu’elle avançait pour sortir, un flash de lumière vint à se produire. Il ne s’agissait pas d’un nouvel éclair comme ceux qui avaient parsemés le ciel nocturne, non. C’était beaucoup plus proche, beaucoup plus près, et beaucoup plus dangereux. Car lorsque la flashbang qu’il y eut se calma, un homme se dressait au dessus de la barrière.

Luminova.

Confronter un héros face à de possibles torts était une chose tout de même assez osée. Il s’agissait tout de même d’aller à la rencontre de quelqu’un qui était dans le même camp qu’elle, qui avait juré de protéger la ville des inombrables criminels qui envahissaient les rues. Personne n’était parfois hein, Dreadnought la première, mais il y avait des choses que la demoiselle ne tolérait guère. Et trahir à ce point la confiance qui avait été placée en lui était inexcusable.

Cependant… Le fait de le voir arriver aussi rapidement, sans qu’elle n’ait le temps de se préparer ou d’être à 100% certaine de sa culpabilité était une autre histoire. Qu’est-ce qu’il foutait là ? N’avait-il pas annoncé qu’il avait des affaires urgentes à traiter, et que c’était justement pour ça qu’il avait besoin de quelqu’un pour se charger de ce problème de terroriste poseuse de bombe ? Elle avait quand même de sacré doutes hein, et bien qu’elle comptait initialement laisser filer la gamine, son acolyte aurait prit toutes les mesures pour la suivre jusqu’à son terrier. Mais là… Là c’était différent.

“Qu’est-ce que tu fous là ?!”

Ses sourcils s’étaient autant froncés que sa voix s’était levée. Clairement, ce type n’était pas simplement là de bonté de coeur, mais c’était également plutôt inquiétant de comment il avait tracé sans la moindre difficulté l’héroïne et la criminelle. Il devait avoir du soutien, peut-être un mouchard ou quelque chose du genre. Certes, l’écossaise n’était pas la plus discrète du paquet, mais se faire pistée ne la mettait pas de bon poil. Pas du tout. D’autant qu’il annonçait vouloir s’assurer que le job était bien fait.

”Sympa la confiance…”

Venait-elle de souffler, agacée, alors que le type se posait non sans effets spéciaux. Mais le plus emmerdant était le fait qu’il annonçait directement que Kayo avait des contacts, et qu’elle pourrait éviter sans problèmes la prison. Typiquement le genre de truc contre lequel Pratty voulait lutter, et si c’était vrai, elle se serait arangée pour laisser de bons souvenirs à la journaliste. Même si c’était faux en fait, ne serait-ce qu’à titre préventif. Mais que lui partage cette opinion, lui qui cultivait une image parfaite, celle d’un parangon de lumière, d’un paladin loyal bon plus chiant qu’un petit frère sur la route des vacances… Quelque chose clochait, et le fait de le voir agresser une civile désarmée, potentiellement coupable certes. Mais était-elle de taille à confronter Luminova à elle seule ?

“J’pense que tu va pas aimer c’que j’vais faire.”
”J’pense qu’au contraire, je vais adorer.”

Dreadnought prit une grande inspiration après ces quelques messes basse, se rapprochant de ce qu’il se passait pendant que Luminova insistait pour résoudre le problème dès maintenant, sans jugement ni procès. Et si cette méthode ne dérangeait pas habituellement l’héroïne, c’était plutôt lorsque c’était elle qui le faisait qu’elle acceptait ça.

“Ouais, finissons-en avec toutes ces conneries.”

Fit-elle en déployant ses canons une fois à côté de Luminova. Et si un petit sourire en coin se distingua sur le visage du héros, celui-ci se résorba bien rapidement lorsque Dreadnought lui choppa le visage et le fit s’écraser contre l’immeuble, boostant son mouvement à la force de ses implants histoire de bien l’encastrer. L’attaque du héros, chargée entre ses doigts, partit dans le ciel nocturne pour exploser en hauteur tel un feu d’artifice qui annonçait le début des hostilités !


“C’est l’heure d’exploser ta sale gueule de salopard !”

Sans attendre, elle commençait déjà à lui foutre avec violences différentes mandales, s’agenouillant au-dessus de lui dans une position qui, dans d’autres circonstances, aurait pu être tendancieuse, mais là, l’écossaise n’était guère là pour ce genre de rodéo.

“Hier encore, j’me serais fait avoir et j’aurais pensé que c’que tu faisais là était digne d’une sale imitation. Mais là, j’me rend compte à quel point l’original est malade, pourri jusqu’au coeur !”

Et si elle enchainait les attaques, le héros vint à placer sa main sur le ventre découvert de l’écossaise, déchargeant une attaque qui blasta Pratty sur plusieurs mètres, atterissant lourdement sur le sol.

”T’es complètement folle ! Cette gamine t’a retourné le cerveau !”
”Au contraire, j’avais déjà des doutes sur toi, mais il manquait la pièce finale. Et on m’la servit sur un plateau. Du coup maintenant, c’est ta tête que j’veux dessus !”

Ne rien montrer de son jeu jusqu’au moment où il fallait l’exposer. Ou bien bluffait-elle, juste que la gueule du blondinet ne lui revenait pas, et qu’elle irait jusqu’à inventer tous les prétextes possibles pour justifier son cassage de gueule. Dans tous les cas, de se savoir ainsi confronté à une héroïne semblait le contrarier.

“Je me demande bien ce que tu sais gamine, mais trop visiblement. Alors tu va mourir ici, toi et cette merdeuse de journaliste !”

S’élevant dans les airs, il leva la main avec détermination, commençant à accumuler la lumière des environs en une sphère qui bourdonnait de puissance. Les lampadaires grésillaient, la vue des étoiles et de la lune devenait trouble, pendant qu’il gardait la position. Heureusement pour Dreadnought qu’il faisait nuit, autrement, il était probable qu’elle n’ait pas la moindre chance.

“Hey enfoiré, t’oublies mes canons ! J’vais t’fumer comme un pigeon !”

Tirant enfin avec son lourd armement, ce qui la démangeait depuis de nombreuses minutes maintenant, d’envoyer une lourde et bruyante volée dans le corps du héros fut particulièrement cathartique, au point qu’un sourire déforma le visage de l’écossaise, qui, l’espace d’un instant, se sentit tellement supérieure qu’elle pouvait être au dessus des lois. Ou pire que ça, qu’elle était la loi. Mais la vision de Luminova encore debout, certes un peu abimé, mais toujours le doigt levé, n’était guère réjouissante.

“Fumier !”
“Tu avais du potentiel gamine, mais c’est fini ! Tu ne seras plus qu’un fait divers maintenant !”

Et il lança son attaque. Celle-ci était comme prévisible, un peu lente même par rapport à d’autres, mais l’héroïne était limitée par ses canons, et dû bloquer à la force de ses boucliers externes qui, animés de la conscience de l’écossaise, s’interposèrent. Et il n’y eu nulle explosion, à vrai dire, la balle ricocha simplement, pour arriver sur le sol.

“Hein ?”
“Adieu !”

Et d’un geste, il fit exploser cette lumière avec violence. Si l’héroïne fut un peu amochée par ça, l’explosion restait plus impresionnante que véritablement dangereuse. Et à vrai dire, lorsque ses yeux purent s’ouvrir de nouveau, pas grand chose ne semblait avoir changé, si ce n’était peut-être qu’elle avait un peu bronzée.

“C’est tout ? T’es trop vieux pour ces conneries Lumi-mes-deux !”

Cependant, comme un tour du karma, un grand craquement vint à se faire entendre. L’attaque n’avait pas été dirigée contre l’héroïne en fait, mais contre l’immeuble. Et vu comment celui-ci avait été fragilisée, il ne fallait guère plus pour que les fixations ne rompent les unes après les autres. Autrement dit, il allait s’effondrer !

“MERDE !”

L’immeuble tremblait, se fissurer, devenait instable. Le moindre pas pourrait faire céder l’ensemble de la structure. Enterrer vivante Pratty… Voilà une puterie d’un gros niveau, vu le traumatisme qu’elle avait subit dans sa jeunesse. Mais elle était solide, c’était une battante, protégée par ses implants qui seraient secondés par son corps modifié. Elle était plus résistante, plus forte qu’elle ne le fut, et vu sa position, moins de pierres lui tomberait sur sa gueule, même si l’expérience allait être désagréable. Elle devrait s’en sortir, elle l’avait toujours fait.

Mais ça, ce n’était pas le cas de Kayo.

C’était une journaliste, une qui ne semblait avoir rien de spécial. Une simple pierre et elle serait broyée. Autant dire que là, c’était une autre histoire. Et bien que Dreadnought comptait lui donner une violente correction initialement, l’ordre du jour était reporté ! Elle fonça donc, rangeant le plus vite possible son équipement, avant de chopper par le col la concernée, la sortant de force de sa cachette.

“Protège ta tête !”

Et elle la balança dans l’immeuble en face, visant une fenêtre pour essayer de la faire passer au travers. Le choc serait rude, et probablement qu’elle aurait le droit à quelques coupures au passage, mais c’était le moindre mal face à ce qui lui serait arrivée autrement. Car sitôt le lancer de journaliste inventé, un dernier craquement annonça l’effondrement de l’immeuble.

Se retrouver au milieu de pierres qui s’effondraient. Une position à laquelle personne ne voulait se retrouver, mais qui commençait à être étrangement famillière à l’héroïne. Le sol avait beau se dérober sous ses pieds, les craquellements se multiplier et cette vague sensation d’apesanteur inquiéter son instinct de survie, sitôt qu’elle vit que son lancer de journaliste avait fait mouche, elle s’était arrêté, se tenant droite, presque stoïque, face à ce qui semblait être un tour du destin.

Et de toute façon, qu’est-ce qu’elle pouvait faire ? Elle n’avait guère la mobilité et le temps pour tenter une sortie. Elle savait qu’elle allait en prendre plein la gueule. Peut-être que cet immeuble allait être son tombeau. Non… C’était même probable en fait. Mais elle n’eut pas d’angoisse face à ce qui s’apparantait à une mort imminente. Des regrets, surements quelques-uns, mais presque un apaisement, comme si le dieu qui tourmentait cette planète avait enfin décidé de finir le boulot. Et si elle ne pesta pas d’un “enfin” salvateur, elle se contenta de fermer les yeux face à la fin.

Mais… Etait-ce vraiment le cas ? Plusieurs secondes s’étaient passés, ou était-ce des dizaines, voir plusieurs minutes ? Peut-être était-elle morte, ou bien avait-elle fait un léger coma. Difficile à dire dans sa position, où l’obscurité avait fait son nid. Mais elle parvenait à voir quelques petits rayons diffus, comme si au fond du gouffre, on pouvait toujours apercevoir la lumière.

Ou bien cela signifiait qu’elle n’était pas tombée assez bas pour crever.

Nan, c’était presque trop lyrique. Si l’écossaise devait un jour rendre l’arme, ce serait d’une manière nettement moins glorieuse. Elle finirait abattue dans un caniveau comme une chienne, pas d’une manière presque héroïque, à se hisser contre la vermine qui corrompait le système qu’elle était sensée défendre.

Ce serait mentir de nier qu’elle même avait conscience de l’ironie de la situation. Elle se revoyait plus d’une dizaine d’année en arrière. Elle n’était qu’une adolescente à qui les rêves avaient été brisés en même temps que sa colonne. Mais à ce moment là, sans même avoir d’uniforme, de licence ou elle la permission, elle avait tentée de sauver des vies, de balancer en sureté certains de ses camarades. Et à ce moment, elle pensa la même chose qu’à l’époque.

”Pas encore morte hum ?”

Et comme autrefois, elle pensait qu’il ne s’agissait que des derrières vagues de conscience que son corps avait à fournir avant de clamser. Par réflexe, elle testa un peu son corps, et bien que certains de ses implants externes ne répondait plus, qu’elle avait toute les raisons de douiller pas mal, elle avait des réponses. Amochée certes, mais pas vaincue. D’autant que malgré ça, elle avait l’impression de ne pas être autant enterrée qu’elle le pensait. A peine quelques pierres à pousser.

Et lorsqu’elle entendit la voix de Luminova, elle comprit. Elle comprit qu’elle avait encore un rôle à jouer ! Elle déglutit assez méchamment, soufflant pour chasser toutes les idées noires qu’elle avait. Dreadnought ne serait pas vaincue, pas comme ça… Et il y avait un enfoiré qui méritait la dérouillée de sa vie.

Se repliant un peu sur elle même, réussissant à approcher ses jambes au niveau de son torse, elle se positionna pour se deterrer par ses propres moyens, forçant avec rage en l’espace d’une seconde pour sortir éjecter d’au dessus de son corps un roc, qui vint à s’écraser un peu plus loin, permettant à l’héroïne de vivre quelques minutes de plus au minimum.

Cependant elle n’avait guère le temps de fêter ça. Essayant de décoincer certaines parties de son corps, un premier diagnostics lui indiquait que trois de ses quatres canons étaient tout simplement inutilisables. Probablement qu’ils avaient endurés les pierres à la place de sa chair, et que dans les impacts successifs, elle avait dû s’évanouir un peu. Un mal pour un bien peut-être, même si elle sentait qu’elle n’était pas saine pour autant. Elle sentait le sang perler d’à peu près partout. Elle était bonne pour un séjour à l’hosto après, mais chaque chose en son temps, car le héros criminel était en train de s’occuper du cas de la journaliste.

Et celle qui s’interposa ne fut pas Dreadnought, mais Pratty. Comme animée, une certaine fois, de l’héroïsme candide qu’elle avait pu faire preuve il y a longtemps. Il n’y avait aucune colère, juste le sens du devoir de protéger cette journaliste. Les boucliers cabossés de l’héroïne s’interposèrent, endurant comme il le pouvait de nouveaux coups. Ils étaient particulièrement demandés ce soir, mais il ne plierait pas, tout comme l’héroïne qui, après sa bonne action et un regard rapide en direction de la civile amochée mais encore vivante, comptait bien reprendre les choses en main.


“J’vais t’arracher les yeux dans tes orbites et je pisserai dedans.”

Elle n’avait pas criée ça, juste parlée, presque normalement, quand bien même le contenu du message laissait entendre qu’il s’agissait là de son second souffle. Et là, le fort caractère de l’écossaise s’occupa de prendre le relai pour maintenir sa réputation.

“T’ENTENDS ÇA LUMI-SALOPE ?! J’UTILISERAI TON CADAVRE COMME FOSSE SCEPTIQUE !”

Voilà, là c’était Dreadnought. Elle était certes mal en point, seul un de ses canons était encore accroché à dos ainsi que ses boucliers. Son corps, ensanglanté, témoignait des dégâts qu’elle avait reçue jusqu’à maintenant. Mais elle n’était pas du genre à abandonner ni à supplier. Et elle comptait bien broyer tous les os de son aîné si elle en avait l’occasion. Toutefois, avant de se retrouver dans l’embarras, elle ordonna avec une voix plus basse à la journaliste deux-trois trucs :

“Si tu peux marcher, cours. Tires-toi. Fous-toi en sécurité à un endroit où il pourra pas t’retrouver. J’vais t’faire gagner du temps.”

Ce faisant, elle s’approcha vers le héros, qui la dévisagea un instant, se demandant probablement comment Pratty était encore debout. Et pendant qu’elle marchait, elle le provoquait, faisant craquer sa nuque et ses phalanges, mimiquant avec ses bouclier le même mouvement.

”J’me demande dans quelle poubelle j’devrais mettre une ordure comme toi. Mais j’pense que j’aviserai morceau par morceau.
”Tu aurais mieux fait de rester par terre. J’aurais même plaidé pour toi, pour une erreur de jeunesse…”
”Sac à merde.”
”Très mauvais choix de derniers mots.”

Canalysant un peu plus d’énergie dans son poing, Luminova fronça les sourcils pendant que la colère défigurait son visage. Il en avait assez de l’impertinence de l’héroïne et de la journaliste. Ce devait être une soirée tranquille, réglée en un tour de main, et voilà qu’il se retrouvait à devoir mater la mutinerie. Tant pis, il règlera ça de sa propre main, fonçant vers l’écossaise pour lui asséner son poing destructeur.

Sauf qu’il fut accueillit par les quatorzes phalanges de Dreadnought qui, boostée par l’action de ses servo-moteurs encore en état de donner, l’envoya jarter dans les poubelles d’un immeuble, l’encastrant partiellement dans un mur.

”Q-Quoi ?!”
”Alors, tu t’ramolis ?! C’est l’âge c’est ça ?!”

Son coup qui avait mit à mal tant de criminel… Contré par une simple brute ! Il s’énerva de plus belle, se redressant, avant d’être accueillit par un tir de canon de l’écossaise en plein dans la blessure qu’il avait subit tantôt des mains de la journaliste. Et si elle voulut en envoyer d’autres, elle se rendit compte que le seul canon qui lui restait n’était pas intact. En un tir, il s’était enrayé, et elle n’avait guère le temps pour le réarmer. Tant pis, elle le débrancha, le jetant au loin. De toute façon, il la déséquilibrait.

Toutefois, Luminova n’avait pas dit son dernier mot. Il envoya quelques projectiles en direction de l’héroÏne, avant de rappliquer. S’il ne pouvait pas la vaincre en un seul coup, alors une myriade aurait le dessus sur elle, vu son état !

”Tu n’es plus qu’un cadavre ambulant ! Je vais te détruire, et je balancerai ce qui restera dans la baie ! Et quand j’en aurais fini avec toi, cette fouille merde aura droit au même sort !”

Il était bien loin le héros parfait, parangon de lumière à la dentition parfaite. Il était métamorphosé, défiguré par la rage et la colère. Juste un criminel qui souillait le nom des héros, qui diffamer leurs actions, qui brisait des vies. Et un qui faisait l’erreur de penser qu’il pouvait battre Dreadnought.

En somme, un connard de plus dans cette putain de ville.

Se prendre des coups. Ce n’était pas la partie la plus amusante des bagarres dans lesquels Pratty tournait inlassablement. Elle préférait distribuer les gnons que les recevoir, mais l’expérience, le temps et la vie lui avait apprit que subir en faisait tout autant parti. A chaque coup qu’elle recevait, ses dents se serraient un peu plus, sa colère ne faisait que monter, ce qui faisait que chaque occasion qu’elle trouvait pour placer un contre, elle s’assurait que le héros qu’elle avait en face d’elle subissait.

“Pourquoi tu ne veux pas crever ?!”

Ses bras étaient en sang, sa conscience, par moment, vacillait. Elle était réduite à se défendre comme elle le pouvait, essayant de limiter les dégâts. Mais à un moment, ses bras flancheraient, un coup réussirait à percer sa défense et cela signifierait la fin. Elle refusait de l’accepter évidemment, et elle comptait rendre chaque impact sitôt qu’elle en aurait l’occasion, sitôt que cette pluie incessant cesserait, mais l’important, plus critique encore, c’était de gagner du temps. Cet enfoiré en cape avait tellement la rage face à l’écossaise qu’il en avait oublié la journaliste. Au moins elle avait pu aider quelqu’un, même si l’ironie de cette soirée voulait que ce soit sa cible originelle.

Mais lorsqu’elle vit du coin de l’oeil la journaliste, encore là, encore présente, elle comprit qu’elle ne pouvait pas perdre. Elle avait sous-estimées les blessures qu’avait subit Kayo, qui n’avait peut-être plus les forces de courir pour sa vie. Autrement dit, si elle y passait, la civile la suivrait, et Luminova gagnerait. Peut-être que l’accolyte de Dreadnought pourrait lui mener la vie dure, mais pourrait-elle vraiment appuyer ça seule ? Difficile à dire…

Cependant, alors qu’elle se sentait faillir un peu trop, une déflagration vint à se produire, surprenant le connard en collant d’un tir en pleine gorge, lui coupant suffisamment le souffle pour qu’il ne s’immobilise. Et ce tir fut suivit d’autres, l’atteignant à de multiples reprises. Il dégustait, lui aussi était dans un état pitoyable, et la couleur rougeâtre que prenait son costume ne faisait que la motiver de plus belle.

“Hey, Lumi-mes-deux…”

Elle n’avait plus la même force dans sa voix, plus la même puissance, plus la même intensité. Mais même si ce n’était qu’un murmure, elle irait avec toute la poésie qui lui était propre lui balancer les choses en face :

“Nique.”

Un coup de boule, puissant, au milieu de la face du blondinet, lui facturant son nez qui avait eu l’honneur d’être épargné jusqu’à maintenant.

“Ta.”

Une droite, placée directement au niveau du morceau de verre planté en lui, l’enfonçant encore un peu plus, perçant sa chair. Elle n’était pas là pour faciliter le boulot des chirurgiens qui devraient se charger de lui. Ou de la morgue le cas échéant, mais était-ce une grande perte ?

“MERE !”

Une gauche, chargée à puissance maximale, en pleine joue du héros, qui l’envoya balader sur plusieurs mètres avant qu’il ne finisse son vol plané contre un mur. L’impact avait été un claquement bien audible, laissant présager de la force que l’écossaise venait de mettre. Même elle, de toute façon en subissait le contrecoup : Une fumée s’échappait de son bras gauche. Venait-elle de forcer ? Surement. Le referait-elle ? Évidemment.

Mais de voir Luminova à terre, galérant à ne serait-ce qu’à se remettre à genou… Voilà un spectacle quel allait se remémorer, se délecter. Faire tomber les types qui se croyaient tout puissant de leur piedestal avait un côté jouissif qu’elle appréciait, qu’importe le camp d’origine du criminel. Qu’il soit un criminel assumé, un flic au casier parfait ou le plus beau des super-héros, aucun vilain ne serait à l’abri de Dreadnought.

“Tu ne sais pas à quoi tu t’exposes ! Je connais des gens ! Je connais du monde ! Tu finiras dans le caniveau Dreadnought !”
“Alors raison de plus pour te faire fermer ta gueule ce soir !”

Enfonçant alors quatre doigts dans la bouche du héros criminel sans faire plus de considération pour cette invasion, sa rage passa un nouveau lorsqu’elle tira brusquement, brisant la machoire de son ainé qui poussa de grands cris de douleurs face à cette blessure, avant que le pied droit de l’héroïne ne vienne à rencontrer son front, l’assomant d’un dernier coup. Et même le mur de béton derrière lui craquela sous la violence de l’impact.

Elle s’en moquait de combien de temps il en aurait pour récupérer. Des mois ? Des années ? Jamais ? Elle s’en foutait. Peut-être ne pourrait-il plus jamais parler. Peut-être ne pourrait-il plus jamais combattre. Peut-être même que le dernier coup avait fait qu’il venait de perdre la moitié de ses fonctions motrices… Mais elle s’en foutait. Elle n’était pas une tendre, elle n’était pas là pour se préoccuper de l’état de santé des criminels, mais uniquement pour s’assurer qu’ils recevaient le châtiment qu’il leur était dû.

”Fin de carrière pour toi, fils de pute.”

Relevant son pied du front du héros avant de faire quelques pas en arrière qui s’il furent au début encore à peu près droit, elle devint rapidement vacillante, peinant à tenir encore debout. Elle avait quand même méchamment dégusté, et vu le sang qu’elle avait perdu aujourd’hui, elle allait être forcée au repos pendant un sacré moment. Après, la connaissant, elle ne le respecterait probablement pas complètement. De toute façon, vu tout ça, ses implants avaient eux aussi le droit à une bonne révision.

Mais avant tout, elle s’approcha de la journaliste qui était adossée contre un des débris de l’immeuble. On pouvait déjà entendre les sirènes de police et des pompiers arriver. L’attente ne serait pas longue…

“Hey, toujours vivante ?”

Le visage en sang, les vêtements déchirés, les bras couverts d’hématomes et de poussière… Clairement, l’écosse avait connu plus belle représentante, ou à défaut, une en meilleur état. Mais s’il était indéniable qu’elle avait méchamment dégustée en cette soirée là, elle n’était pas effrayée à l’idée de voir sa sale gueule. Au contraire même, cela la ferait un peu rire probablement, tout comme elle éprouverait une petite fierté. Certes, elle était dans un sale état, mais au moins avait-elle les yeux encore ouvert pour se voir.

Pour la journaliste, ça allait encore. Quelques blessures certes, et pas forcément du style qu’elle devait subir régulièrement. Sa constitution, à l’allure nettement plus fragile que celle de l’héroïne, n’était pas renforcée par de nombreux implants et menée d’un esprit de fer forgé comme c’était le cas pour Dreadnought. Cependant, malgré les attaques de Luminova, elle était encore consciente, et pouvait émettre autre chose que des gémissements.

“Si tu parles, c’est qu’ça va.”

Et comme elle s’empressa de le souligner, ça avait été une soirée assez particulière. Initialement à sa traque, elle s’était ultimement retrouvée à la sauver, elle, la plus expéditive et la plus directe des héroïnes de Californie. Comme quoi le destin pouvait être farceur, un peu trop parfois au goût de Pratty, qui n’hésiterait probablement pas à séquestrer dieu lui-même lorsqu’elle passerait l’arme à gauche. Mais elle n’en était pas là.

“Ouais, ça m’surprend autant qu’toi. Mais t’emmerde pas avec la pareille. C’est mon boulot, pas le tiens.”

Elle n’était pas là pour recevoir des pourboires, des avantages ou des faveurs. A vrai dire, elle n’était même pas là pour recevoir des remerciements contrairement à d’autres dans ce milieu qui adoraient faire des bains de foule. De toute façon, elle n’était guère en état d’en faire un, et à part tousser un peu de sang sur son poignet, qu’est-ce qu’elle allait faire. Oh, la frapper, comme la civile proposait ?

“D’ordinaire… J’devrais je suppose. Mais j’étais un peu peu occupé avec c’connard sur les bras. Donc j’ai pas bien vu. J’suppose qu’il a tiré tout seul et que, coup d’bol, l’blondinet était sur le chemin.”

Ce n’était guère dans ses habitudes de couvrir quelqu’un, mais la situation était… Plutôt exceptionnelle. Suffisamment en tout cas pour qu’elle n’ait guère envie d’en foutre une à cette inconsciente qui avait inutilement mit sa vie en danger.

“T’échapperas pas à la déposition concernant c’fumier, mais connaissant ton ange gardien du soir, elle s’arrangera pour que ce soit la seule chose que t’auras à faire en sortant d’l’hosto. Après ça, tu d’vrais plus avoir d’autres emmerdes. Enfin, sauf si tu recommences à suivre les mauvaises personnes.”

Elle s’accroupit un peu face à la journaliste, prenant un air un tantinet sérieux.

“Donc la prochaine fois qu’t’as un dossier sur quelqu’un d’intouchable, contacte-moi plutôt que d’faire justice toi-même. S’il faut casser la gueule à quelqu’un qui salit l’uniforme, et pour un gros truc, vaut mieux qu’ce soit moi qui donne les coups.”

De toute façon, l’enquête se chargerait de lever les zones d’ombres qu’il pouvait y avoir. Toutefois, ce soir, aux yeux de Pratty, il n’y avait pas l’ombre d’un doute. Cette ordure était coupable et il allait rester un très long moment au trou. Et s’il réussissait à l’éviter, alors l’écossaise lui en creuserait un spécialement pour lui, bien à l’écart…

“J’espère que c’est bien compris, car j’me répèterai pas.”

La leçon du soir semblait être plus ou moins retenue dans les oreilles de Kayo. Après tout, pour une civile, voir la mort d’aussi près n’était pas une chose courante et l’écossaise assumait qu’après cette soirée là, elle y réfléchirait à deux fois avant de se mettre dans de telles affaires. Et elle ne dirait rien de trop, après tout, il s’agissait tout de même d’une affaire un poil complexe qui avait menée à la capture d’un criminel en costume héroïque, une vermine de la pire espèce.

Bref, maintenant que la journaliste et l’héroïne avait ouvert un s-link et que l’option de casser la gueule à des corrompus avait été aquise, chacune d’entre elles allait pouvoir repartir à ses occupations, mais avant et surtout, à l’hosto, car les ambulances arrivaient, accompagnées des voitures de police.

Dès lors, Dreadnought s’occupa d’expliquer la situation, révélant la véritable nature du héros de lumière qui, pour arranger ses petites affaires, était prêt à supprimer la journaliste de manière définitive. Un dossier avait de toute façon déjà été créé et les éléments s’assemblaient à toute vitesse. Le simple fait d’établir que Luminova était un enfoiré de première permettait de mettre en lumière de mystérieuses coincidences sur la présence quelque peu aléatoire du super connard.

Et une fois les autorités à la page, les ambulanciers purent entrer en scène. Il n’y avait guère plus de blessés que les trois protagonistes, même si quelques voisins étaient un peu en état de choc à cause de la violente confrontation et de l’effondrement de l’immeublement, heureusement inoccupé. Mais elle comptait tout de même ajouter quelques directives, notamment à l’équipe qui s’occupait de Lumi-batard.

”J’vous préviens, ce type vous me le sanglez au max ! J’veux pas qu’il puisse bouger ! Vous pouvez y aller, c’est pas un os pété de plus qui changera grand chose.”

L’idée de voir le héros d’hier saucisonné comme un jambon était un peu amusante, même si lui ne subirait pas vraiment l’humiliation à cause de son coma. Toutefois, lorsque des équipes s’approchèrent de l’héroïne avec une civière, là l’écossaise vint à voir rouge. Et puis quoi encore ?!

“Le premier d’vous qui tente de me foutre sur une civière il repartira les pieds d’vant !”

Si elle pouvait marcher, alors elle marcherait. Ou tout du moins, elle y irait sous ses conditions, et pas allongée une serviette sur la tête dans la cabine d’une ambulance. Ce n’était probablement pas raisonnable, mais l’avait-elle un jour été ?

”Toi ! Files-moi une serviette !

Ne serait-ce que pour s’essuyer un peu, alors qu’elle s’asseyait sur une pierre et qu’elle autorisait, certains à au moins lui faire les premiers secours, bandant les plaies qu’elle avait de part et d’autres afin d’éviter l’anémie. Pas forcément le plus agréable, mais au moins pouvait-elle s’assurer que le blondinet en profiterait pas pour se barrer. Toutefois, elle s’étonna de voir que son téléphone, miraculeusement épargné par les coups, sonna. Enfin épargné, façon de parler, il avait subit tout de même, l’écran était complètement brisé, et c’était à peine si elle entendait la sonnerie.

"Chier.”

Pas le choix donc, elle se connecta dessus, utilisant un des cables qu’elle avait dans son dos, et forçant l’ouverture pour pouvoir décrocher l’appel.

“Ouais ?”
“Ça gagne et ça prévient même pas ?!”
“Cat’, j’me disais que c’était silencieux…”
”Normal, ton antenne s’est pétée, obligée de suivre avec les caméras…”
”C’est pour ça… J’ai pas eu l’temps de scanner les dégâts pour être franche.”
”J’me suis inquiétée !”
”Pour moi ou tes bébés ?”
”L’un empêche pas l’autre ! Bon, comment ils vont ?
”Connasse. Bon, j’te fais un scan rapide.

Ce faisant, elle ferma les yeux, se concentrant pour établir la liste des dégâts. Et face à toutes les alertes qui apparaissaient dans son esprit, elle fut un peu obligée de grincer les dents.

”Ouais, vaut mieux pas que j’te le dise.”
”Comment ça ?!”
”Y’en a peut-être un ou deux sans alerte…”
”U-un ou… Grosse brute sans cervelle, tu les as massacrés !”
”J’me suis prit un immeuble dans la gueule, tu d’vrais être contente de voir qu’ils sont pas tous bon à foutre à la benne !”
”Ecossaise de mes deux, c’est moi qui vais t’enterrer !”

Un poil agacée, Pratty écarta le téléphone de son oreille, laissant le flot d’insulte partir dans le vent. Mais il lui suffisait de sentir comment le haut parleur vibrait pour savoir que la fameuse Cat était dans un de ses grands jours.

”C’est bon ?”
”Ouais. Jusqu’à c’que j’te vois. Protège tes tibias car j’te shooterai là.”
”J’y penserai.”

Bref, après ce petit échange quelque peu courtois, elle éloigna les infirmiers qui la prenait en charge. De toute façon, elle n’aurait pas le droit de se barrer sans être oscultée au préalable, et elle connaissait déjà les résultats. Elle en prendrait pour un sacré temps au dispensaire… Ça la saoulait déjà en vrai, cependant, elle reconnaissait qu’elle n’avait pas eu le temps d’agoniser.

“Les secours ont été rapides… T’y es pour quelque chose ?”
“Ouais, j’les ai appelé quand ça commençait à chauffer.”
“Bien anticipé.”
“Tu sais j’te connais hein, soit tu finis blessée, soit c’est ceux qui t’affrontent. Et le plus souvent les deux.”
“Plus eux que moi.”
”Si tu l’dis… Oh d’ailleurs, la journaliste te remercie.”
”Quoi ? Elle t’a envoyé un message ?
”J’ai capté sur les ondes de ton casque y’a quelques minutes.”
”Elle a… Attends, c’est pas sensé être sécurisé ?”
”Tout comme le fait qu’elle sait ton prénom ?”
”Quoi ?!”
”Hey, c’est une fouine pleine de ressource qu’était prête à suivre Luminova, tu te doutes bien qu’elle a des atouts dans sa manche !”
”Tss… J’admet que j’l’ai sous estimée.”
”Raison de plus pour que j’la garde à l’oeil du coup !”
”Ouais. Bon, j’pars pour l’hosto.”
”Réserve ta chambre, car sitôt que j’te vois j’t’y renvoie à coup de tournevis !”