Dans ce que je fais, l’un des moments que je redoute le plus est… ce que je surnomme l’acte final. Le moment où, après avoir tout appris sur ma cible au point de la connaître jusqu’au bout des doigts, il faut mettre en place sa déchéance. Si j’appelle ça un “acte”, c’est parce que cette procédure a tout appris des mondes du théâtre et de la fiction animée : il faut mettre en scène une situation, prévoir un scénario, un décor, du matériel, savoir où placer telle ou telle caméra…et bien sûr s’assurer que les acteurs remplissent leur rôle à la perfection, alors qu’ils n’ont ni texte ni script pour les guider.

C’est une tâche ardue, mais il faut ce qu’il faut pour que ça fasse vrai. Que le spectateur n’ait pas l’impression de regarder un film, mais une véritable news…un authentique instant où le personnage principal montre son véritable visage au monde, sa détestable nature derrière le masque quand il se croit loin des lumières et des caméras.

Montrer au monde des preuves irréfutables d’un crime qu’il n’a peut-être pas commis, mais le public ne se soucie guère des détails. Tout ce que les gens veulent, c’est que ça fasse vrai.
Et c’est mon travail d’être la meilleure réalisatrice possible.

Mais aujourd’hui, le personnage principal est un peu spécial. C’est la première fois depuis mon arrivée que je dois m’en prendre à une étudiante de la Justice University… certes une graine d'héroïne, et donc pas encore tout à fait assez mature pour être appelée ainsi, mais qu’importe. Si on laisse une simple étudiante agir comme une petite frappe alors qu’elle va encore en cours, qu’arrivera-t-il quand elle aura sa licence et un costume? Jusqu’où ira-t-elle une fois enivrée par le pouvoir, par la célébrité?
Non. Il faut savoir arracher les mauvaises herbes le plus tôt possible.

***



Depuis l’arrière-boutique de l’épicerie qui servira de scène pour ce soir, mon attention est focalisée sur la caméra à laquelle je suis mentalement connectée, celle qui filme l’entrée de la boutique.

0h59.

Dans moins de cinq minutes, ma cible devrait arriver et commencer ce qu’elle sait faire de mieux : le larcin. Après tout, la petite chauve-souris n’a jamais présenté de scrupules à voler de la nourriture jusqu’à présent, et elle a normalement appris par des sources anonymes qu’une certaine épicerie isolée dans les bas-quartiers n’avait ni alarme ni serrure et qu’après une heure du matin, plus personne ne la surveillait.
…Mon rôle là-dedans a été de m’assurer que l’information soit vraie, en plongeant ma conscience dans la porte puis dans le boîtier d’alarme.

Pour rendre ce pillage plus significatif , un groupe de malfrats ayant reçu la même information est prévu, pour l’heure suivante. Après tout, si je peux faire accuser miss Sweedle d’avoir en plus une équipe pour l’aider lors des gros coups comme celui-ci, ça ne rendra la chute que plus brutale.

…Mais une partie de moi doute toujours du bien-fondé de cette action. Il s’avère qu’en enquêtant sur Tara, j’ai pris connaissance de son passé…difficile, pour employer un mot gentil. Elle est passée par un orphelinat et forcément, je ressens une certaine forme de sympathie à son égard, une impression de trahir mon propre passé, comme si je m’en prenais à l’une de mes soeurs.
Cette impression parasite mes convictions et empoisonne mes pensées depuis ces derniers jours, mais je fais tout mon possible pour l’ignorer. Il me faut aller jusqu’au bout.

Alors une fois de plus je repousse cette désagréable impression et me focalise sur la mission en cours. Ma cible ne devrait plus tarder maintenant…

Vous saviez l'avantage de vivre dans les bas-fonds, dans les égouts, dans les poubelles ? Vous entendiez et/ou écoutiez des conversations, des rumeurs, des dires. Et l'avantage encore d'être dans la rue était que je pouvais vérifier ces informations aisément ! Tel un rat sauvage, je sautais ici et là, camouflant comme toujours mon véritable Alter sous mes vêtements et mes cheveux, seuls les plus intimes savaient et connaissaient mon Alter. C'est-à-dire très peu de monde. De prime abord, j'avais juste un Alter de rat, gros yeux, queue de rongeur, etc...

Une épicerie n'avait aucune alarme cette nuit-là exceptionnellement ? Certainement une mise à jour, et une dans l'année, la différence ne se fait malheureusement pas voir. Sauf si vous aviez l'information comme moi, j'eus un petit rire mesquin en grignotant une fin de sandwich.

« Ce soir, c'est repas à volonté. Et du fric certainement. Et peut-être d'autres trucs de valeur qui ont un prix pour les revendre... »

Je haussai les épaules, ce cambriolage allait être bénéfique dans tous les cas pour moi. Sans être préparée, comme quasiment tous mes vols jusqu'alors, j'attendis l'heure concrète, j'attends deux minutes de plus. Je m'assurai qu'il n'y avait plus de bruit, je passai par l'entrée et ouvris la porte lentement, je clignai des yeux. Mais les proprios étaient débiles ?!

Je rentrai discrètement, refermant la porte avec ma queue et m'avançai rapidement pour aller fouiller ici et là.

« Ils doivent bien avoir quelque chose qui vaut de l'argent derrière le comptoir... »

Je pris un paquet de chips, l'ouvris, commençai à en manger sans silence, et allai derrière le comptoir pour ouvrir des tiroirs et autre avec ma queue, à la recherche de quelque chose de précieux. Ou peut-être des objets trouvés qu'ils gardaient, j'savais pas.

La porte s'ouvrit de nouveau, je relevai la tête.

« Ah ? C'était pas censé être fermé ?! »

Des hommes que je n'avais jamais vus tenir cette boutique pénétrèrent à l'intérieur. J'étais mal pour le moment, mais je pouvais totalement m'en aller avec la porte de secours dans mon dos, je grimaçai en les regardant ; je lâchai un grognement mécontent.

Comme prévu, la petite voleuse ne tarde pas à entrer et commencer son méfait, sans prendre plus le temps de vérifier les alentours ou le système de sécurité. Bien. Son avarice l’aveugle, et c’est exactement ce que j’espérais de la mutante fouineuse…

Cependant, il se déroule à peine quelques minutes avant que le bruit d’un véhicule à l’extérieur n’attire mon attention. Qui? L’épicerie est isolée, et personne n’est censé être au courant à part miss Sweedle et…oh, non. Ma conscience passe d’une caméra intérieure à une caméra extérieure, puis au pilote de la camionnette noire qui vient de se garer devant la superette…avant que six personnes n’en sortent, toutes de noir vêtues, au visage dissimulé par des cagoules.

Ils sont là cinquante minutes trop tôt ! S’ils tombent sur B(r)at maintenant-

S’il faut toujours improviser un minimum sur le terrain, je déteste quand des pans entiers de mes plans s’effondrent à cause d’instructions mal comprises…ou promptement ignorées?

“La gamine doit encore être à l’intérieur. Vous trois, surveillez les issues. Les autres, avec moi, on entre.” murmure l’un d’eux.

D’une façon ou d’une autre, ils ont dû apprendre que l’étudiante serait isolée à l’intérieur avant eux…et quoi, la tuer comme vendetta contre les héros pour leurs potes incarcérés? Ou la kidnapper? Des trafics sombres, ce n’est pas ce qui manque en ville, et une authentique apprentie héroïne de la J.U. est un produit de luxe dans ce genre de milieu.

…Ce n’est absolument pas ce que je cherchais, mais cela la ferait disparaître aussi, quelque part. Pas selon mes termes, certes, mais il faut savoir faire des compromis…

Car plus important encore, je ne suis plus en sécurité. Autant avec Tara, j’avais confiance dans le fait qu’elle n’irait pas à l’arrière si le magasin était assez fructueux pour elle, autant pour ce groupe…rien n’est moins sûr. Je n’étais plus censée être là, à l’heure de leur arrivée.

“Elle est là !” résonne une voix dans la boutique.

“Rends-toi gamine, et on te fera pas trop de mal.” menace un autre, alors qu’ils sortent leurs armes en commençant à se déployer dans le magasin, de façon à encercler miss Rat. Il a beau faire sombre, je parviens à distinguer la forme particulière de leur équipement : des tasers.
Ils viennent donc pour capturer.

Ça ne va pas être simple, mais le mieux que je puisse faire,  c’est attendre le chaos imminent et en profiter pour m’éclipser de ce dangereux endroit…

Et laisser l’orpheline toute seule?

Merde, c’est pas le moment de douter !

Putain, ils étaient beaucoup plus que ce que j'imaginais. Je lâchai mon paquet de chips en me mettant sur mes gardes.

« Rends-toi gamine, et on te fera pas trop de mal. »

« Je la connais cette technique, c'est mort. »

Je grimaçai, j'avais pas envie de dévoiler mon véritable Alter. Fait chier. Je grognai encore un peu, dans un ridicule espoir. Un homme fonça sur moi, j'esquivai de peu et me fondis pour foncer par la porte d'entrée. Je savais où elle était, et une fois dehors, je connaissais tous les recoins pour les semer sans problème. Sauf qu'un homme sur le côté poussa un rayon de confiserie, je sautai par dessus pour continuer ma course effrénée.

« Arrêtez-la ! »

Une troisième main attrapa ma queue, me faisant crier de surprise puis de douleur en sentant qu'elle fût tirée. Je finis sur les fesses devant deux mecs, grognant de douleur.

« Putain, c'était pas prévu. »

« Maintenant, t'es à nous. »

Un homme tendit la main, je la mordis brusquement, repoussai l'autre homme et fonçai vers la sortie. Là c'était bon, là c'était-

Quelque chose me fut lancée dessus, m'assommant partiellement, je vacillai avant de tomber sur le côté, sentant du sang couler sur mon visage, une main venant vérifier.

« Ah putain... »

Je grimaçai, ils parlaient, mais je ne distinguais plus, ils se dirigeaient vers moi. Je devais vite me reprendre, très vite...

…Comme on pouvait s’y attendre, la situation a dégénéré. Très vite. Les gangsters commencent à essayer d’attraper la mutante et cette dernière ne se laisse pas faire, des jurons sont lâchés, des rayons renversés…un chaos propice à une évasion furtive. J’entrouve la porte de l’arrière-boutique, me hissant discrètement en dehors pendant qu’ils sont occupés à poursuivre l’apprentie héroïne qui tente d’atteindre la sortie, et se débat furieusement. Peut-être qu’elle va réussir à s’en sortir?
Auquel cas…tout va bien. Il suffira de préparer un autre piège, mais bien plus subtil et contrôlable cette fois, ça ne devrait pas être si…

*bonk*

Un bruit d’objet lourd résonne, suivi du corps de la petite souris.

Ils viennent de lui lancer la caisse enregistreuse au visage? Mais quelles stupides brutes.

“On la tient ! Vite, attachez-la !”

La porte secondaire n’est qu’à quelques mètres. Tant qu’ils sont occupés avec leur cible, ça me laisse sans aucun doute le temps de m’éclipser.

Mais c’est une orpheline.

…Et merde. Tout serait tellement plus simple s’il me restait plus aucune émotion.

Finalement, je change de trajectoire et transfère ma conscience dans l’interrupteur qui contrôle les lumières, afin de les faire clignoter frénétiquement, sans cesse. Un geste bien inoffensif si ce n’est l’effet d’aveuglement qui en résulte, que je subis beaucoup moins en me servant des caméras à la place de mes yeux. Mais l’intérêt est surtout de faire diversion. Les distraire un instant de leur activité, les déstabiliser, peut-être offrir une opportunité à leur victime de prendre l’avantage?

…Et accessoirement, m’offrir l’ouverture pour prendre l’extincteur accroché au mur.

“Hey? Il se passe quoi?! Attendez, y’a quelqu’un qui-”

A l’instant où les lumières cessent de clignoter, pour s’éteindre complètement, un jet d’eau mousseuse percute le type le plus proche de l’étudiante. Et la seconde d’après il se mange l’extincteur lui-même en pleine tronche. Ces outils de sauvetage font office d’efficaces armes contondantes, dans le feu de l’action.

“Lève-toi, ils ne vont pas nous lâcher !”

Car même si l’un d’eux est au sol, il reste encore les autres, et ils ne sont pas assez impressionnés pour battre en retraite…

Pourquoi est-ce que j’ai fait ça, déjà?

J'étais niquée, je connaissais ce lieu de jour, et quand y avait pas autant de connards. Putain, j'avais fait quoi pour mériter ça bordel ?

Ironique hein ?

Je regardais le sang encore sur ma main en grimaçant. Cependant, l'appellation pour moi, m'étant destinée, me fit redresser la tête, oubliant presque la douleur. Y avait quelqu'un avec moi ? Qui m'aidait ? Ah ah ! Une innocente débile, hein.

Je me redressai péniblement dans une petite plainte, j'attrapai l'extincteur et fonçai vers un homme, claquant des lèvres pour me repérer vivement par écho, je vins frapper un homme dans les parties intimes, et une fois plié en deux, en plein dans le visage, j'enchaînai alors pour frapper un deuxième homme directement au visage en prenant appui sur l'étagère renversée et frapper d'en haut -la hauteur n'était pas impressionnante mais toujours conséquente-. L'homme tomba en grommelant mille jurons.

Normalement j'aurais dû fuir, mais on m'aidait, et j'pouvais avoir d'la bouffe et boisson gratos. J'allais reprendre fermement l'extincteur quand on me repoussa brusquement contre un autre rayon encore debout. Je grimaçai, la douleur au crâne me reprit vivement, m'obligeant à mettre ma main ensanglantée contre, comme si ça allait atténuer la douleur.

« Si t'es là pour m'aider, magne ton cul ! »

Autant y aller à fond, non ? Ils étaient réduits de moitié, ils étaient pas découragés mais fallait vite réagir, moi j'étais amochée, et ça n'allait pas au mieux.

Par ailleurs, celui que j'avais mordu se sentait très étrange, comme très affaibli, ou du moins très préoccupé par sa plaie qu'il grattait constamment, le sang coulait comme si c'était une grande plaie ouverte offerte par une lame.

Celui qui avait l'extincteur s'approchait de moi, je ne savais pas si j'allais avoir le temps de réagir.

Pour une personne détestant ces situations violentes, je me suis un peu trop facilement jetée au coeur de celle-ci…mais j’avais préparé cet endroit pour mettre en scène un pillage, pas accueillir des ennemis. Aucune arme, aucun piège, aucune bombe n’est en place pour finir le combat avant même qu’il ne commence, contrairement à mes habitudes. Il faut improviser…réagir par instinct, le meilleur moyen de commettre des erreurs.

…Tout en prêtant attention à en révéler le moins possible sur mon alter, en profitant du chaos.

Mais trève de réflexion. A peine la chauve-souris partie se servir de l’extincteur, reconvertit en masse, qu’une des caméras indique qu’un des hommes est à quelques mètres derrière moi. Prêt à me viser avec son arme neutralisante. Je parviens juste à temps à bloquer mentalement la gâchette pour empêcher le tir, mais cela me demande d’abandonner une des précieuses caméras qui me servent d’yeux. Poussée par l’adrénaline je me jette sur ses bras du voyou pris de désarroi devant l’état de son arme, ma “charge” le pousse contre le rayon alcool et le fait s’effondrer avec lui, dans un grand vacarme de verre brisé.

Certes, j’ai plutôt bien entamé cette lutte mais mon avantage sera court car il est bien plus fort que moi. Néanmoins je remarque qu’il a une morsure ensanglantée sur la main…une faiblesse que j'exploite sans attendre, attrapant une bouteille à moitié vide avant de vider son contenu alcoolisé sur la plaie. La brûlure lui arrache un cri de douleur et le déstabilise un instant, juste suffisant pour parvenir à retourner son pistolet électrique contre lui. Et je le force à tirer, laissant ainsi le type s’auto-taser sur son rayon.

Bon, un de moins.

Cependant, Brat est au prise avec un autre gars, qui a récupéré l’arme star de la soirée…zut. J’approche alors de lui, espérant lui sauter dessus par surprise…sauf qu’il me repère bien trot tôt et fout un grand coup sur la tête avec le lourd objet rouge, comme une espèce de vengeance pour son pote.

L’impact m’écrase au sol, bien trop sonnée pour savoir si j’ai mal ou non…et encore moins me relever.

“Urgh…”

Ma tête se releva, mes yeux se dirigèrent difficilement vers la scène, j'utilisai de nouveau mon écholocalisation pour rapidement découvrir une nouvelle personne qui venait d'être prise pour cible. Ce devait être cette personne qui m'avait aidée. Je devais réagir... Je...

Je grognai, la douleur me hurlait de rester au sol, mais mon corps avait connu des choses similaires, donc j'emmerdais la douleur. Je me relevai et sautai sur l'homme qui était devant nous, je mordis fortement son épaule, il se débattait en hurlant, donnant des coups autour de lui.

Tu allais t'effondrer oui ?!

Je retirai mes crocs et mordis à côté, encore et encore, jusqu'à ce qu'il tombât, je haletai alors, la moitié du visage ensanglantée, les crocs remplis de sang, je me tournai vers ma... mon... ma probable alliée ? Je vins attraper son poignet.

« Tu m'as aidée, t'es bien. Pour ce soir en tout cas, on s'casse. »

Ma queue attrapa deux paquets de chips pour les serrer et je la tirai en grognant sous l'effort. Le mal de crâne me frappa de nouveau, fallait vite que j'me cassasse pour m'écrouler quelque part et m'reposer. Je grognai encore. J'étais résumée à ça, une voleuse grogneuse.

Le dernier homme arriva en criant, la caisse enregistreuse -qui avait été l'arme qui m'avait blessée en plus- en main.

« Quel connard à crier avec ma migraine putaiiiiiin. »

Je repris l'extincteur proche pour le balancer au niveau de ses jambes, le déstabilisant, le faisant trébucher, je sautai pour atterrir à pieds joints sur son visage au sol. Il arrêta de bouger et du sang coula de sous son visage.

« Il devrait pas être mort. J'crois. »

Là c'était bon, putain. Je repris le poignet de l'autre et sortis rapidement, avec les deux paquets de chips qui s'échappèrent de ma queue quand je m'en rendisse compte.

J'étais à deux doigts de tomber bordel.

Sans vraiment comprendre ce qu’il m’arrive, je me laisse traîner comme un zombie par la mutante alors que mon esprit essaye de rassembler ses différents morceaux. Ma tête est tellement en bazar que je ne sais plus ce qui appartient à mon corps ou non, comment est dispersée ma conscience, à quels objets ou personnes suis-je liée?... Pour au final me rendre compte, alors qu’on me traîne dans la fraîcheur de la nuit, qu’avec le choc mon alter s’est juste désactivé.

Une fois éloignées du lieu qui a connu ce chaotique évènement et mit fin à la cavale, je place ma main sur mon front pour constater le sang qui s’en écoule… Encore une opération qui va se terminer à l’hôpital, uh?

“Urf…c’était un sacré bazar…”

Bon, même avec le son de l’extincteur heurtant mon crâne qui résonne encore à l’intérieur de ce dernier, je n’ai pas oublié la responsable de tout ceci. Ni que je n’étais pas censée m’y trouver. Donc là, c’est le moment d’inventer une solide explication.

“Je ne sais pas ce que tu leur as fait, mais ces gens t’en voulaient à priori.”

Fouillant dans ma sacoche, j’attrape ma carte de presse, ainsi qu’un mouchoir pour éponger un peu le liquide qui coule un peu de ma tête, même si ce n’est pas en quantité trop inquiétante.

“Je m’appelle Kayo, au fait. Je me demandais ce qu’une étudiante de la Justice University faisait en cette heure tardive de la nuit…et quand ces gens sont arrivés juste derrière toi, mon intuition m’a dit que ça allait mal tourner. Uh… quelle brutes.”

Oui, quelles brutes. Non mais qu’est ce qui leur a pris de ne pas suivre le scénario?! Trouver des collaborateurs fiables dans cette ville, c’est un enfer.

“Enfin…comment tu vas? Tu n’es pas trop amochée?”

J’affiche un sourire qui se veut rassurant. Mon inquiétude pour l’orpheline n’est pas qu’une façade, je le crains.

Je l'avais emmenée dans une ruelle, quelques rues plus loin (ne jamais rester près de l'endroit de votre méfait !), puis je la lâchai et me laissai glisser le long du mur gelé, une main sur ma tête, le sang avait séché, donc j'imaginais que j'allais bien sinon ça saignait encore. Je grimaçai, secouai la tête mais mauvaise idée, j'en lâchai un mince gémissement de douleur. Elena se moquerait de moi si elle me voyait comme ça.

« Tss. J'leur ai rien fait et c'était pas leur boutique. Juste des connards. »

Dit celle qui volait. Mais vraiment, ces mecs n'avaient rien à voir avec la boutique à la base, je tiltais un truc (malgré le mal de crâne qui me donnait envie de frapper ma tête contre le sol) en l'entendant. Je relevai la tête pour la regarder.

« Attends, comment ça quand tu les as vus après moi ? Tu m'espionnais ? Tu m'suivais ? Tu les as envoyés ?! »

Un énième grognement, un œil fermé, je la dévisageais.

« J'vais bien sinon j'serais encore là-bas. Et comment tu sais qu'j'suis étudiante là-bas ? »

En référence à ses dires, je pris appui sur le mur pour me relever lentement et surtout péniblement.

« Donne-moi une bonne raison de pas t'attaquer tout d'suite. »

Si je l'avais vue comme une potentielle alliée de fortune avant, là, avec ça, et ses dires de merde, je grognai de colère, les crocs un peu sortis, les griffes sorties. J'avais encore de la lucidité, et ses prochains mots allaient déterminer si j'allais attaquer ou non.

Bien entendu que ma présence en cet endroit en cet instant est suspecte, d’où l’intérêt d’avoir élaboré un scénario où personne n’était censé le savoir. Ce qui a été…complètement inutile au final, à cause de mes stupides états d’âme. Et ces stupides malfrats de seconde zone, surtout.

Maintenant il faudrait éviter que la chave-souris ne me considère comme une ennemie, ou j’aurais vraiment tout échoué de A à Z avec cette opération défectueuse…Avec le sourire un peu gêné de celle qui a fait une petite bêtise, j’essaye de la rassurer :

“Eh bien…je suis journaliste. Spécialisée dans les sujets super-héroïques…alors forcément, je connais un peu les têtes qui traînent à la Justice University. Ce n’est pas que je te suivais vraiment, c’est juste que te voir en cette heure tardive de la nuit, dans un coin comme ça, ça a uh…piqué ma curiosité.”

Bon, les paparazzis ne sont appréciés par personne, mais ce n’est quand même pas une raison pour me mordre?...

“Et…non, je ne les ai pas envoyés? Enfin, ils m’ont attaquée tout autant que toi, pourquoi est-ce que je les aurais envoyés si c’était pour t’aider ensuite? Tu ne trouves pas que ça n’aurait aucun sens?”

Ahah.

“Au final, heureusement que j’étais là non? Bon, je ne suis pas une grande guerrière mais j’espère avoir été un minimum utile. Tu as une idée de ce qu’ils te voulaient, d’ailleurs?”

Bien sûr que non. Évidemment qu’elle ne peut pas le savoir, la grande méchante qui se trouve sous ses yeux est la seule à connaître le fin mot de l’histoire, même si cette agression ne faisait pas partie de son plan.

“C’est que ceux qui étaient encore debout sont peut-être encore à tes trousses, à l’heure qu’il est.”

…Et donc garde ces crocs loin de moi, je préfèrerais?

« Ouais, ouais. »

C'était effectivement très con de venir m'aider si elle voulait me voir tomber. Je remis une main sur mon crâne, j'utilisai l'écholocalisation, claquant de la langue pour repérer autour de nous.

« Non, y a rien. Pas de mouvement suspect. »

Je repris une posture plus calme en la dévisageant, ouvrant lentement l'autre œil qui tremblait, oh non, je sentais que... que...

« Va t'faire fout... »

Je m'écroulai contre le mur, totalement KO, mes yeux se refermèrent dans un réflexe inouï et je tombai au sol. L'adrénaline qui m'avait animée s'était totalement dissipée quand je n'avais plus besoin d'être en alerte. Si je n'avais pas vérifié après sa dernière phrase, j'aurais pu tenir un peu plus.

Mon regret était de ne pas avoir eu un paquet de chips ou une boisson à cause de ces connards.

Putain, j'étais pas dans une de mes planques. J'étais totalement dans la merde.

Nuit de merde. Vol de merde. Intrusion de merde. Boutique de merde. Voleurs de merde. Emmerdeuse de merde. Nuit de merde.

Bonne nuit...

Eh bien, jusqu’au bout elle aura été…vigoureuse. Encore quelques minutes comme ça et je crois qu’elle m’aurait attaqué, juste pour le principe, sans même savoir qu’elle a vraiment des raisons de le faire. Ça aurait définitivement été l’ultime clou de cette soirée pourrie.

“Fiou…”

Bon, que faire? Il va être difficile d’exploiter les vidéos prises dans la boutique pour la faire accuser de quoi que ce soit, tant cela ressemble…eh bien, à une agression. Certes, on pourrait se demander ce qu’elle faisait là, et il doit bien y avoir quelques plans où on la voit piquer des chips… mais rien de sensationnel. Les réseaux et les médias d’aujourd’hui peuvent certes s’enflammer de pas grand chose, mais même ça ne sera pas assez.
De plus, elle m’a vue. Je suis impliquée…Donc non, définitivement, on va oublier ça.

Un coup de fil plus tard, et les secours sont avertis de ce qu’il s’est passé.
Et le temps qu’ils arrivent, je retourne en vitesse dans la boutique pour récupérer mes petites caméras, constatant par ailleurs que les agresseurs ont disparu.

Mais sur le chemin du retour, je tombe sur quelque chose que la petite chauve-souris a fait tomber durant la fuite…deux paquets de chips, étendus seuls sur le parking, à quelques mètres de l’entrée.

Un soupir blasé m’échappe.
Est-ce que je vais vraiment faire ça?

…Oui. En revenant près de la blessée alors que les sirènes des ambulances s’approchent, je glisse les deux sachets sous le manteau de l’étudiante, seul butin de cette nuit de méfaits ayant mal tourné…pour elle comme pour moi. Restant à ses côtés jusqu’à ce que les secours nous récupèrent, je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’elle a vécu pour en arriver là, à se comporter comme une petite frappe alors qu’elle aspire à faire partie de l’élite des supers.

Vraiment, c’est déplorable…mais ni cette mésaventure ni mes élans de sympathie à son égard ne changent le fait que ce comportement doit être punit.

A charge de revanche, petite voleuse. Tu n’auras pas autant de chance la prochaine fois.